Le meurtre de George Floyd par un policier de Minneapolis le 25 mai 2020 a déclenché à l’échelle mondiale des manifestations de solidarité envers la communauté afro-américaine, ainsi qu’une vive indignation à l’égard de la brutalité policière dont elle est souvent victime aux États-Unis.
Quand on a vent de telles tragédies au nord de la frontière, on éprouve généralement de l’empathie, mais on ne s’y attarde pas. On attribue l’incident à la montée des tensions raciales aux États-Unis, car on a la perception que le racisme anti-noir n’existe pas au Canada.
Le jour même du décès de M. Floyd, à 2 000 kilomètres de distance, une femme blanche a été filmée dans Central Park, à Manhattan, en train d’expliquer à la police qu’un homme noir l’avait menacée, alors qu’il lui avait simplement demandé de tenir son chien en laisse, comme le veut le règlement du parc. « Je vais leur dire qu’un Afro-Américain menace ma vie », l’a-t-elle averti. Cette vidéo a fait le tour du monde, et le comportement de la femme a largement été qualifié de raciste. Quelques jours plus tard, les médias ont rapporté qu’elle était probablement Canadienne.
Plusieurs rapports font état de profilage racial et de discrimination raciale au Canada, y compris celui de la Commission ontarienne des droits de la personne et celui de la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse. Des ressources supplémentaires se trouvent sur le site Web de la Commission canadienne des droits de la personne.
La mort de George Floyd a marqué un moment décisif aux États-Unis et dans le reste du monde. L’Association canadienne de l’immeuble (ACI) a pris le temps de réfléchir aux marches et aux protestations du mouvement Black Lives Matter qui ont suivi.
« En tant qu’association nationale des courtiers et agents immobiliers, nous avons le devoir de reconnaître les préjugés déshumanisants auxquels doivent faire face nos membres et nos clients noirs », déclare Michael Bourque, chef de la direction de l’ACI. « Le Canada doit combattre son propre racisme, et il est plus que temps que les mesures nécessaires soient prises dans toutes les sphères de la société. »
Ces dernières semaines, nous avons communiqué avec nos membres, et ils ont communiqué avec nous. Nous les remercions de nous avoir fait part de leurs expériences personnelles avec franchise et courage. Nous espérons qu’elles aideront leurs collègues de la communauté immobilière à comprendre pourquoi un changement s’impose.
« Quand j’étais jeune, mes parents nous ont expliqué, à mon frère et moi, comment agir si nous étions interpellés par la police », se rappelle Bethany King, agente immobilière membre de l’ACI dans le Grand Toronto. « Ce sont des souvenirs impossibles à effacer. Aucun enfant ne devrait avoir à accepter une telle réalité. »
Mme King a récemment été critiquée pour avoir dénoncé une publication sur les médias sociaux qui tournait une photo des manifestations en blague sur l’immobilier. Elle a été inondée de messages d’abonnés de la page, qui l’accusaient de dramatiser et de manquer d’humour. « Ce n’est pas “juste une blague”; nous luttons littéralement pour nos vies. »
Outre sur les médias sociaux, Mme King constate que le racisme est malheureusement généralisé dans son métier, un sentiment que partage sa collègue dirigeante d’agence et membre de l’ACI du Grand Toronto, Jasmine Lee.
Dans une publication récente sur Instagram, Mme Lee raconte une visite durant laquelle les propriétaires-vendeurs ont suivi ses clients et elle partout. Malgré cette expérience désagréable, ses clients ont décidé de faire une offre qui répondait aux critères des propriétaires-vendeurs, mais ils l’ont refusée sans explication. Quelques semaines plus tard, la propriété s’est vendue à un prix inférieur au prix demandé.
Se fondant sur ses 16 années d’expérience, Mme Lee juge que le manque de sensibilisation est certainement attribuable à la négligence organisationnelle. Elle a été agréablement surprise d’apprendre que son agence actuelle souligne le Mois de l’histoire des Noirs, puisque c’était une première dans sa carrière. « J’ai vu des célébrations pour la Saint-Valentin et la Saint-Patrick, mais le Mois de l’histoire des Noirs passait complètement inaperçu. »
« C’est aux dirigeants de montrer l’exemple », ajoute Mme Lee. « La direction des agences témoigne‑t‑elle de la diversité de ses équipes? Les chambres et associations sont-elles dirigées par des personnes qui reflètent leurs membres? Nous ne posons peut-être pas ces questions parce que nous avons peur des réponses, mais cela ne fait qu’empirer le problème. »
Mme King croit que l’offre d’une formation aux membres de l’ACI améliorerait grandement les choses. « Si vous avez déjà représenté une personne racisée pour la location d’un logement, vous savez malheureusement que le racisme existe bel et bien au Canada. Des séances de formation sur les enjeux sociétaux peuvent nous amener à prendre conscience de nos préjugés raciaux et à mieux comprendre les difficultés que nos clients éprouvent, ce qui nous aidera à les servir plus efficacement. »
Le dirigeant d’agence et membre de l’ACI à Regina Tim Otitoju croit aussi que la formation pourrait faire tomber des préjugés raciaux tenaces. « Le racisme n’est pas inné, il est acquis. Il y a trois mois, un homme m’a coupé en voiture, causant presque un accident. Il a tout de suite baissé sa vitre pour me crier de retourner dans mon pays, que j’étais dans son pays, en utilisant un langage vulgaire, y compris le mot qui commence par un N. Le plus triste dans tout ça, c’est qu’il y avait de jeunes enfants dans sa voiture, qui ont vu leur père, leur modèle, se comporter de la sorte. »
« L’immobilier est un secteur de plus en plus diversifié, tant du côté de la clientèle que des courtiers et agents. Une formation nous pousserait à nous rendre compte de nos préjugés inconscients, à les corriger et à mieux comprendre les difficultés que rencontrent nos clients chaque jour. »
M. Otitoju, qui siège au conseil d’administration de la Saskatchewan REALTORS® Association, reconnaît qu’il y a du travail à faire pour encourager la participation aux plus hauts échelons.
« Les postes de direction au sein des conseils et des associations sont bénévoles, donc leur composition dépend des candidatures qui sont présentées », explique M. Otitoju. « Cela dit, nous pouvons et nous devons faire plus pour favoriser la diversité dans le cadre du processus de recrutement. »
L’agent immobilier membre de l’ACI à Halifax Chris Peters en convient. Comme président de la Nova Scotia Association of REALTORS® (NSAR), il s’estime privilégié d’être dans une position où il peut influencer le changement. Étant donné la tournure qu’a prise sa première incursion en politique, on peut difficilement lui reprocher d’avoir abandonné la perspective d’occuper un poste de direction à l’issue d’un vote populaire.
« À 18 ans, quand je vivais à Sudbury en Ontario, je me suis présenté comme président du conseil étudiant », se rappelle-t-il. « Le directeur m’a convoqué dans son bureau un matin pour m’aviser que le concierge avait décroché mes affiches de campagne, qui avaient toutes été barbouillées de graffiti racistes. »
S’étant toujours impliqué bénévolement au sein de diverses organisations communautaires, M. Peters s’est d’abord joint au comité de gouvernance de la NSAR. Il s’est ensuite présenté au conseil d’administration, puis il en a été élu vice-président pour quatre ans.
« En regardant les photos des anciens présidents de la NSAR, je me suis demandé comment la plus ancienne communauté de Noirs au Canada avait pu être représentée par un Noir qu’une seule fois depuis tout ce temps. »
Depuis son arrivée à la NSAR, il a remarqué un recul de la mentalité du « cercle masculin ». Il fait l’éloge de l’association, qui s’emploie à faire augmenter le nombre de femmes au sein de la direction. Il consacrera son mandat de président à préparer la NSAR à l’avenir. Il mettra en place un mécanisme qui, en favorisant la participation des jeunes, mettra de l’avant les idées progressistes et avant-gardistes, et il aidera les minorités visibles à se faire entendre, idéalement par la formation d’un groupe de travail sur la diversité.
« J’ai longtemps repoussé l’idée d’être le président noir qui a combattu le racisme; j’avais peur qu’on me considère comme opportuniste », révèle-t-il. « J’ai finalement compris que de lutter contre ce problème avait plus d’importance que la perception qu’on aurait de moi comme personne. Que ce soit au sein de la NSAR, de l’ACI, des agences ou des franchiseurs, les groupes sous-représentés doivent avoir voix au chapitre pour que nous progressions, et je ne regrette pas d’avoir défendu leurs intérêts. »
« Les groupes sous-représentés doivent avoir voix au chapitre pour que nous progressions, et je ne regrette pas d’avoir défendu leurs intérêts. »
Le président de l’ACI, Costa Poulopoulos, reconnaît lui aussi que le silence n’est plus une option.
« L’Association canadienne de l’immeuble et ses quelque 130 000 membres au pays veulent exprimer leur solidarité envers la communauté noire de partout en Amérique du Nord », déclare M. Poulopoulos. « Pour combattre le racisme systémique, nous devons tous le dénoncer. »
Des politiciens ont eux aussi reconnu que le racisme anti-noir posait un problème au Canada, et ont encouragé les citoyens à le dénoncer.
Dans une entrevue à CTV, le ministre fédéral Ahmed Hussen a révélé qu’être membre du cabinet ne l’empêchait pas d’être suivi par le personnel dans un magasin, ni de craindre pour sa sécurité quand une voiture de police apparaît dans son rétroviseur.
« La diversité est un fait au Canada, mais l’inclusion est un choix », explique-t-il. « Je ne veux pas être obligé d’avoir ces discussions dans une dizaine d’années avec mes trois jeunes fils. J’aimerais qu’ils aient une expérience plus agréable dans les magasins. J’aimerais qu’ils fassent sans crainte du jogging dans le quartier et d’autres activités simples. Ces activités que j’ai parfois peur de faire. »
S’il est malheureux qu’en 2020 on doive répéter que la vie des Noirs compte, il est encore plus malheureux que tant de gens persistent à le nier.
Nous avons manifestement encore beaucoup de chemin à faire.